


dimanche 30 mai 2010, par Vincent
A ceux qui pensent que le théâtre est ennuyeux ou inutile, il faut conseiller la pièce Notre usine est un roman, tirée du roman du même nom.
Cette aventure est inédite : les salariés du site du Romainville (Aventis et précédemment Roussel-Uclaf), l’un des plus grand groupes pharmaceutiques au monde, ont vu leur site fermé en 2003. Ils font alors appel au romancier Sylvain Rossignol pour garder la trace de leur usine, de leurs luttes, de leur vie. Cette littérature de commande transforme le désespoir des licenciés en genre littéraire noble, et le communique, le roman permet aussi de saisir la véritable passion du métier des « Roussel-Uclaf », les salariés, mais aussi la pression insupportable des chefs.
La pièce était représentée au théâtre Aleph d’Ivry, lieu épique en soi, le 23 mai 2010. Si la compagnie Nie Wien n’est pas connue du grand public, elle manie pourtant savamment la vidéo, le témoignage audio, la projection de textes, le chant en plus du jeu traditionnel.
Trois acteurs donnent à voir sur scène un échantillon des quatre mille salariés de jadis. Dans la salle pleine, les anciens salariés du groupe et les autres retiennent avec pudeur mais difficulté leurs sanglots quand on suggère la mort de telle salariée ou la rage de tel autre devant l’abandon de la recherche de telle molécule permettant de traiter le cancer du sein.
Sur scène une poubelle illuminée rappelle que chacun vivra la fermeture du site et son propre licenciement comme la mise aux ordures des employés et de leurs années de travail.
Le décor blanc des labos ou le cadre industriel qui renvoie à la désaffection du site, l’absence de personnages de la scène à certains moments, leurs silences, bouleversent notre conception vieillotte du théâtre, mais bouleverse surtout, trop peut-être, le coeur du public. Face au désastre de l’histoire de cet abandon scandaleux, chacun repart avec une part de la rage des « Aventis », et se trouve changé par l’expérience.
Ca y est. Ça se termine, et ça commence en même temps.
Le visage des comédiens est marqué de fatigue. On parle, on boit, on mange. Tout le monde paraît content.
Il est 23h00 environ samedi 27 mars 2010, nous venons de jouer les deux premières représentations de USINE/ROMAN.
Yohann m’appelle, il est à côté de Salvatore, ils se tiennent par l’épaule : « Regarde ! » il se tourne vers le décor, et lui envoie des baisers du bout des doigts.
Reste mardi, mercredi, puis jeudi matin.
Lundi le rat dans la poubelle a disparu.
Paul vient en fin d’après-midi : il reprend la régie de Salvatore, et doit étudier la question.
L’atelier a repris sa vie, les ouvriers sont là, les machines tournent. Ca sent la peinture et le plastique fondu. Il y a du bruit.
Journée en creux, un peu. Éléonore et Eric ont animé leur dernier atelier avec les élèves d’hôtellerie.
Mardi soir l’ambiance est étrange. Le public est différent, ses réactions aussi. C’est le soir de la « formule » diner-spectacle.
Les dineurs ne sont pas tous prévenus du « genre » du spectacle…ça ricane au début, fait grincer les chaises, puis se calme.
Les lumières de Paul sont belles, transition réussie.
Mercredi le rat est revenu.
La représentation est intense. Les élèves de l’atelier théâtre ont joué juste avant nous. Leur émotion est grande à la fin de la soirée. La nôtre aussi.
Jeudi matin. Nous jouons pour les élèves qui ne viendront pas au théâtre, qui seront en stage. Certains d’entre eux ont été très proches de nous pendants ces 6 mois.
C’est une représentation importante pour nous.
Il fait jour, Paul est en cours : je dois faire les lumières toute seule…
La séance se termine par une conversation bord de scène, entre eux et nous.
Le message est passé. Ils ont compris et ressenti. Des gaillards habillés de blousons noirs nous disent leur émotion. Ils nous disent aussi avoir oublié que les objets étaient fabriqués par eux : tubes, éprouvettes, tablettes en plastiques ont pris vie, par la force de leur imagination.
Un peu plus tard, un jeune homme, élève en hôtellerie, vient nous remercier. Il nous dit qu’il ne savait pas que le théâtre pouvait être ça, pouvait parler des choses de la vie, comme le fait la musique ou le cinéma. Il nous remercie parce que chez lui, la situation ressemble à celle évoquée dans le spectacle, et que ça lui fait du bien d’entendre que d’autres la partage.
Jeudi midi
Démonter, faire le tour, dire au revoir....
Marion, Gwen et moi sommes les derniers à partir. Les plasturgistes nous ont préparé une surprise, un cadeau. Un petit morceau d'eux que nous emporterons.